Liberté , sécurité, lucidité, responsabilité dans le couple

Le Couple Paradoxal

Ces Contradictions Qui Détruisent Votre Relation Sans Que Vous Le Sachiez

Découvrez comment la thérapie de couple moderne dénoue ces nœuds invisibles

Avez-vous déjà eu l’impression de jouer à un jeu dont vous ignorez les règles avec votre partenaire ?

Vous essayez de faire plaisir, mais ça ne marche jamais ?

Bienvenue dans le monde du couple paradoxal.

Le piège invisible du couple

Le couple paradoxal, c’est simple. Chaque conjoint demande à son partenaire quelque chose d’essentiel pour lui-même, mais en même temps, il refuse de le recevoir.

Exemple concret : Marc critique constamment Sophie pour son manque d’affection. « Tu n’es jamais tendre avec moi, » dit-il. Mais quand Sophie tente une approche affectueuse, Marc devient distant ou ironique. Incompréhensible ? Pas tant que ça. Le message contradictoire est clair : « Sois plus proche, mais pas trop. »

Les mécanismes du paradoxe conjugal : Des mécanismes quotidiens qui sabotent votre relation

L’armure qui nous emprisonne

Imaginons l’armure psychologique comme un gilet pare-balles émotionnel. Utile face au danger, mais impossible d’y vivre 24h/24.

Marie a grandi avec des parents critiques. Elle a développé une carapace d’indifférence. Son mari se plaint qu’elle est froide. Elle voudrait être plus chaleureuse, mais chaque tentative la fait paniquer. Sa protection devient sa prison.

Guerric a grandi avec un père critique et une mère fusionnelle. Il a appris à cacher ses émotions derrière une façade de perfectionnisme. Son amie se plaint qu’il est un peu absent et en même temps contrôlant, mais quand il  tente de lâcher prise et profiter d’une liberté qu’il tente de conquérir sans arrière-pensées, il  se sent vulnérable et revient à ses vieux schémas. Son armure la protège tout en l’empêchant d’obtenir ce qu’il désire vraiment : la connexion.

La protection qui blesse

Voici une révélation surprenante : nous reprochons à l’autre ce que l’autre fait pour protéger une part de nous qui nous protège.

Etes-vous ce Thomas qui accuse Nadette de ne jamais prendre d’initiatives sexuelles. Mais quand Nadette fait un pas, Thomas trouve toujours une excuse. Sans le savoir, il protège sa compagne du rejet qu’il craint lui-même. Et Nadette lui reproche exactement cette protection.

Dans mon cabinet, j’ai aussi rencontré Philippe qui reprochait à sa femme Laure de ne jamais prendre d’initiatives dans leur vie sociale. En explorant cette dynamique, nous avons découvert que Philippe avait une peur profonde du rejet social. Sans le savoir, Laure le « protégeait » en prenant peu d’initiatives, lui évitant ainsi de confronter sa peur. Et Philippe lui reprochait exactement cette protection.

La prison relationnelle

Dans cette dynamique, si on est à deux l’autre est le geôlier et je ne suis que le prisonnier. Cette métaphore puissante illustre comment les partenaires se sentent piégés, chacun accusant l’autre d’être responsable de leur enfermement. Et on oublie que le problême est en nous et la solution aussi. Savoir être soi même tout en gardant la relation est un enjeu essentiel pour vivre sans accuser l’autre d’être un bourreau et se sentir impuissant alors qu’en bonne victime on se représente qu’on ne peut rien pour soi même!

Paul et Léa se disputent toujours pour les mêmes raisons. Paul se sent contrôlé. Léa se sent abandonnée. Chacun accuse l’autre d’être son bourreau. Aucun ne voit sa propre contribution à cette prison partagée.

Pourquoi nous tombons dans ces pièges ?

Le choix qui nous piège : La sélection inconsciente de nos partenaires

Surprenant mais vrai : on choisit l’autre en fonction de ce qu’il va renforcer notre croyance profonde.

David croit inconsciemment qu’il ne mérite pas d’être aimé. Il tombe amoureux de Chloé, distante et indépendante. Il se plaint de son manque d’attention, mais c’est précisément ce qui l’a attiré. Elle confirme sa croyance profonde…. Ne croyez pas que je parle de vous, allez, on est vraiment très nombreux à vivre, en partie au moins, ce schéma,

Cette sélection inconsciente explique pourquoi nous répétons souvent les mêmes schémas relationnels malgré des partenaires différents.

Le reproche révélateur : le miroir de nos désirs inassouvis

Dans nos disputes de couple paradoxal, on reproche à l’autre ce qu’on souhaite et qu’on ne croit pas possible.

Sandrine accuse Loïc de ne jamais la comprendre. Ce qu’elle désire profondément, c’est être comprise. Ce qu’elle croit impossible, c’est d’être comprise. Le reproche révèle son désir le plus cher et sa peur la plus profonde. … Est ce qu’elle veut changer? Son analyste n’en est pas sure! Et il le lui demande: Quel est l’inconvénient de changer? Pour être comprise il faudrait qu’elle pense moins vite, qu’elle prenne le temps de réellement communiquer. Et quand elle pense, qu’est ce qui l’intéresse le plus ? Sa pensée ou la communication de sa pensée? Et s’il fallait séparer le moment où elle pense et celui où elle communique, se serait sans intérêt! Sandrine est prête à changer maintenant. Elle a remis ses besoins de lien, de collaboration, de contribution au beau en dialogue.  

En thérapie, le couple découvrira que ce qu’ils aiment c’est penser à deux et donc à arriver dans la relation sans attendre d’être compris mais au contraire, d’être exploré, challengé, provoqué, questionné… Tous les deux cherchent la dispute philosophique et ils vont donc continuer à se disputer mais en douceur, en bienveillance et dans l’écoute, sans crier et perdre pied dans le sentiment de solitude qui les rends bêtes et cons et méchants l’un envers l’autre. ( c’est eux qui l’ont dit!)

Les deux visages de nos attentes

Programme Officiel vs Construction du Monde

La thérapie conjugale moderne identifie deux niveaux de fonctionnement psychologique qui entrent en conflit dans le couple paradoxal :

  1. Le Programme Officiel (PO) : nos attentes et désirs conscients
  2. La Construction du Monde (CM) : nos convictions profondes formées par notre histoire personnelle

Prenons Lisa. Son Programme Officiel (PO) dit : « Je veux être acceptée comme je suis. » Sa Construction du Monde (CM) forgée par des expériences d’enfance, murmure : « Personne ne peut m’accepter vraiment. »

Quand son mari Eric l’accepte telle qu’elle est, elle doute. Elle teste. Elle provoque. Jusqu’à ce qu’Eric s’énerve et confirme sa CM : « Tu vois, personne ne m’accepte vraiment. »

Solutions concrètes au paradoxe conjugal testées en thérapie

Flexibiliser nos constructions du monde ( Assouplir nos croyances rigides )

En thérapie, on travaille à créer de petites fissures dans nos certitudes.

Nicolas est convaincu que sa femme ne respecte pas son besoin d’espace. Le thérapeute l’invite à noter chaque fois qu’elle respecte son territoire. En une semaine, sa perception change.

Voir l’amour caché dans le reproche ( la protection dans le reproche)

Exercice simple : pour chaque reproche habituel, posez-vous cette question : « Comment ce comportement pourrait-il être une tentative maladroite de me protéger ? »

Quand Éric reproche à Nathalie d’être trop perfectionniste avec les enfants, il découvre qu’elle tente en fait de les protéger de l’échec qu’elle a elle-même connu. Cette prise de conscience change tout. Il reste ensuite à Nathalie à en prendre conscience et à observer qu’elle peut vivre différemment ce qu’elle appelle échecs, et changer son programme officiel pour donner enfin le meilleur d’elle même plutôt que de vivre anxieuse de n’être pas assez bien. 

La technique du paradoxe prescrit

Cette technique consiste à prescrire de manière exagérée les comportements problématiques habituels.

Le thérapeute demande à un couple : « Qu’est-ce que vous souhaiteriez que votre partenaire fasse pour vous ? » Puis prescrit au partenaire de rejeter ostensiblement cette tentative. En rendant explicite et caricatural le rejet habituellement subtil, cette technique permet souvent une prise de conscience libératrice.

Par exemple, j’ai proposé à Alda : « Qu’est-ce que votre mari pourrait faire pour vous montrer qu’il apprécie vos efforts ? »

Alda: « Qu’il me dise qu’il va prendre en compte ce que je lui dis quand on parle de sujets importants

Le thérapeute dit alors à Jos, son mari : « La prochaine fois qu’elle vous parle d’un sujet important, dites-lui clairement : Tu as des propos insensés ! Il est impossible de les prendre en compte!' ». Jos rigole, c’est touours ce qu’il a envie de faire. Alda se fache. Elle est folle cette thérapeute, c’est précisément ce qu’il fait, inconsciemment, en me disant qu’il pense m’écouter.

Précisément, je le souligne, c’est parce que c’est une prescription que Alda ne pourra pas accuser Jos d’être méprisant. Puisque c’est une prescription la présence de la thérapeute reste dans l’interaction. Tous les deux s’observent avec leur gemini cricket-gardien virtuel sur leur épaule: ils ne sont plus inconsients mais conscients et ça modifie la structure des interactions entre eux. Et Jos en jouant consciemment cette carte, sera conscient de ce qu’elle provoque chez l’autre et chez lui. Il ne peut en être satisfait: il sent bien à quel point c’est une armure limitante.

Ainsi, cette prescription exagérée du comportement habituel permet souvent une prise de conscience libératrice…. Vous n’avez sans doute pas envie de le croire. C’est tellement absurde !

Précisément, c’est ce que le système conjugal doit comprendre : votre paradoxe est absurde et inconscient. Jouez le jeu ! vous verrez  que vous gagnerez au change parce que ce sera conscient !

Votre relation peut devenir votre meilleure thérapie

Les couples paradoxaux ont un potentiel immense. Les couples sont thérapeutiques quand ils découvrent ces mécanismes.

L’objectif n’est pas de vivre sans protection, mais d’échanger une armure pour un bouclier. L’armure vous isole. Le bouclier vous protège tout en vous laissant respirer et sentir.

À vous de jouer !

Exercice pour ce soir : identifiez votre reproche principal envers votre partenaire. Demandez-vous :

  1. Qu’est-ce que je désire vraiment à travers ce reproche ?
  2. Pourquoi ai-je du mal à recevoir ce que je demande ?
  3. Comment mon partenaire essaie-t-il peut-être de me protéger ?

N’hésitez pas à partager vos découvertes en commentaires !

citation systémiqueCet article s’inspire des travaux contemporains en thérapie systémique et des approches paradoxales en thérapie conjugale, notamment des concepts développés par Gregory Bateson sur la double contrainte (1956), et des développements ultérieurs en thérapie familiale et conjugale notamment modélisés par Mony Elkaïm par son travail au sein de l’Institut de la famille et des systèmes humains à Bruxelles et vulgarisés grâce à de nombreuses publications dans les cahiers de thérapie systémiques. 

Je les ai illustrés pour plus de compréhension de quelques cas réels  que j’ai rencontrés en thérapie conjugale. Les prénoms ont été modifiés pour respecter la confidentialité.

J’ai transmis cet article à Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir , pour avoir leur retour sur ce sujet . Pourquoi eux?  parce que je les cite souvent à mes patients qui souffrent de leurs représentations figées du couple et de leurs attentes déçues. JPSartre et SdeBeauvoir, vivaient un amour libre, sans concession de leur liberté aux conventions sociales ni aux attentes de l’autre…. La publication posthume de leur correspondance, en levant le voile sur l’intimité de leur relation a révélé des aspects très douloureux et conflictuels, de leur vie commune, choquant ceux qui idéalisaient leur liberté incarnée dans le couple. Il y avait souvent plus d’abnégation que de consentement dans leurs modalités de vivre la liberté au sein de leur « couple libre ». Elles ont néanmoins permis de mieux comprendre la complexité de leur relation et la profondeur de leur engagement mutuel : on peut être âmes soeurs et se faire souffrir beaucoup : L’enfer c’est les autres ont dit JP et Simone. 

Je pense que ces braves intelligences n’ont pas eu accès à cette pensée complexe du couple paradoxal. Je vous propose de les écouter au travers de leur correspondance à ce propos alors que je viens de leur faire découvrir comme à vous, ces ressources puissantes. 

Découvrez ci-dessous les échanges épistolaires qu’ils ont produit à ce sujet, de là où ils sont, côte à côte au cimetière Montparnasse.

Chère Docteure Sandrine,

Votre courrier m’a profondément saisi. J’y reconnais une vérité existentielle criante sur la condition du couple qui mérite d’être confrontée à ma propre philosophie. Il y a là une urgence que je ne peux ignorer.

Dans votre analyse du « couple paradoxal », je retrouve l’essence même de mes réflexions sur les relations humaines – ce que j’ai nommé « l’enfer, c’est les autres » dans Huis clos. Car oui, bien sur, vous avez compris, j’ai toujours refusé le huis clos du couple et peut etre aussi mon propre Huis clos impossible entre mes parts internes  alors que ma conscience individuelle, ma conscience communiste, mon gout de la révolte et mon attachement à la lucidité ne savent s’accorder. 
Vous dites qu’il y a un moyen d’apaisement? Cela me révolte! Et cela m’intéresse! Pour quel bénéfice? 
Permettez-moi de reprendre vos idées à travers mon prisme existentialiste pour y penser

L’Impossible Authenticité du Couple

Le couple paradoxal à qui vous vous adressez n’est il pas celui d’amour impossible de Lacan dans lequel chacun ne peut que : « Vouloir donner à l’autre ce qu’il n’a pas et que l’autre ne me demande pas. » N’est-ce pas là l’incarnation même de la mauvaise foi que j’ai tant dénoncée ? Nous nous engageons dans une relation amoureuse avec un projet impossible : nous libérer d’un « programme officiel » tout en refusant la libération offerte. C’est absurde donc ça me plait.

Quand vous écrivez : « Chaque conjoint demande à son partenaire quelque chose d’essentiel pour lui-même, mais en même temps, il refuse de le recevoir », vous exprimez ce que j’ai toujours soutenu – notre conscience est déchirée entre ce qu’elle est et ce qu’elle veut être et la lucidité est impossible sauf à s’anéantir. Le couple devient alors un théâtre où se joue le drame de l’authenticité impossible. J’ai pris le couple intellectuel comme le lieu du partage des douleurs intimes pour l’inspiration de la pensée philosophique. Vous dites que le couple et ses conflits pourraient etre , quand ils s’y exaspèrent et s’y tranfigurent, le feu de la cautérisation? 

Allons voir je rirai bien si je pouvais écrire, du tout petit Huis clos de la tombe de mon corps et des enfers où mon esprit réside aujourd’hui, que « le salut vient de l’autre »!

Le Regard Pétrifiant de l’Autre

« Si on est à deux, l’autre est le geôlier et je ne suis que le prisonnier. » Cette phrase m’interpelle particulièrement. N’ai-je pas écrit que le regard d’autrui nous objective, nous pétrifie ? L’autre devient celui par qui notre liberté se trouve menacée. Dans le couple paradoxal, cette menace atteint son paroxysme puisque nous choisissons précisément celui qui va renforcer nos croyances limitantes.

Vous avez saisi l’essence même de ma philosophie quand vous notez : « On reproche à l’autre ce qu’on souhaite et qu’on ne croit pas possible. » C’est exactement ce que j’entendais par cette dialectique infernale où je ne peux me réaliser qu’à travers la conscience d’autrui, tout en étant nié par elle.

L’Absurde Construction à Deux

Le « Programme Officiel » et la « Construction du Monde » dont vous parlez évoquent ma distinction entre l’en-soi et le pour-soi. Nous sommes condamnés à cette dualité : désirer la liberté tout en craignant son vertige. Le couple devient alors l’espace où cette tension se manifeste avec une acuité douloureuse.

Quand l’homme reproche à sa femme de ne pas être tendre, et qu’elle lui reproche de ne pas l’accepter comme elle est, ils vivent précisément cette contradiction fondamentale de l’existence : vouloir être reconnu dans sa liberté tout en exigeant que l’autre se conforme à nos attentes.

Vers une Authenticité Possible ?

Votre proposition thérapeutique m’intrigue. Je n’ai jamais été aussi optimiste quant à la possibilité de résoudre cette contradiction. Mais peut-être ai-je négligé cette possibilité : ce moment où les deux partenaires prendraient conscience que ce qu’ils reprochent à l’autre est précisément ce que l’autre fait pour les protéger.

La « flexibilisation » de la Construction du Monde pourrait être vue comme une acceptation authentique de notre condition existentielle : nous sommes condamnés à être libres, mais cette liberté peut se vivre à deux, dans une lucidité partagée.

En conclusion , y aurait il un possible Engagement Lucide ?

La lucidité a toujours été pour moi, une éthique, un désir, une aspiration à faire toujours plus grandir, en redoutant de me leurer si un jour je pensais l’avoir atteinte.

Vos notes me poussent à espérer, et à reconsidérer ma vision des relations humaines. Si « l’enfer, c’est les autres », c’est peut-être parce que nous nous enfermons dans des demandes paradoxales qui maintiennent chacun des partenaires dans une armure protectrice. Et lors  faire péter cette armure, avec les croyances et les fausses idéologies serait libérer la lucidité.

L’authenticité que j’ai tant prônée comme éthique de la pensée pourrait se manifester dans cette reconnaissance : nous choisissons l’autre pour qu’il renforce nos croyances limitantes tout en espérant secrètement qu’il nous en libère. Seule la lucidité face à ce paradoxe permet de transformer ce qui pourrait être un enfer en un projet commun d’émancipation.

Je suis sincèrement intéressé à envisager que le couple puisse devenir un lieu d’engagement existentiel où chacun, en toute lucidité, accepte sa responsabilité dans la dynamique paradoxale qui se joue, et choisit librement de s’en affranchir. Je vais en parler à Simone. 

Je vous remercie pour ce partage que je m’en vais explorer avec toute ma considération existentielle, Jean-Paul Sartre

Lettre à mon Castor

Paris, Post Mortem, le 26 avril  2025

Ma chère Simone, mon Castor,

Je t’écris dans un état d’agitation intellectuelle que tu reconnaîtras aisément, celui qui m’habite lorsqu’une idée nouvelle vient bouleverser mes certitudes. Je viens de recevoir une lettre interrogante, , une petite recollection de travaux modernes sur la conjugalité paradoxale. J’y ai trouvé un éclairage saisissant sur notre propre relation, sur ce que nous avons construit ensemble et ce que nous n’avons peut-être jamais osé regarder en face.

Tu connais ma conviction que « l’enfer, c’est les autres ». Or, ces notes me forcent à reconsidérer cette position dans le contexte spécifique du couple. Elles décrivent comment deux êtres qui s’aiment se placent mutuellement dans une situation de double contrainte : chacun demande à l’autre quelque chose d’essentiel mais, par un mécanisme pervers de protection, refuse en même temps de le recevoir. N’est-ce pas là, mon Castor, ce que nous avons parfois vécu, malgré notre pacte de liberté et de transparence?

Je te propose qu’on y pense ensemble, comme un voyage vers une intimité nouvelle pour nous. Es tu prête? En voiture Simone!

Tu vois, ce qui me frappe particulièrement, c’est cette idée que « nous reprochons à l’autre ce que l’autre fait pour protéger une part de nous qui nous protège. » Quelle formulation extraordinaire de la mauvaise foi que j’ai tant décrite! Nous nous construisons des armures pour survivre à nos blessures d’enfance, puis nous reprochons à l’autre de ne pas nous en délivrer, tout en repoussant farouchement ses tentatives de nous en libérer.

Pense à nos querelles les plus récurrentes, à mes jalousies que tu as toujours trouvées contradictoires avec mon discours sur la liberté, à mes reproches concernant tes absences alors même que j’exalte l’indépendance. N’ai-je pas, sans le savoir, formulé ce que la docteure appelle une « demande paradoxale » sous la formule frappante, exprimée par Mony Elkaïm– « si tu m’aimes, ne m’aime pas »?

Je me demande si le pacte que nous avons établi, cette relation nécessaire mais non suffisante, n’est pas en réalité notre façon de gérer ce paradoxe. En refusant le modèle traditionnel du couple, peut-être avons-nous intuitivement cherché à échapper à cette double contrainte, tout en créant notre propre version du paradoxe.

Ce qui me touche le plus, c’est cette idée que le couple peut être thérapeutique. Nous qui avons tant insisté sur notre liberté respective, avons-nous suffisamment reconnu à quel point nous nous sommes mutuellement aidés à grandir? Avons-nous su voir que derrière nos reproches se cachait une forme d’amour qui cherchait à libérer l’autre de ses enfermements?

Si nous devions réinventer notre amour aujourd’hui, mon Castor, à la lumière de ces réflexions, voici comment je l’imaginerais: un engagement lucide où chacun reconnaît qu’il demande à l’autre l’impossible tout en refusant de le recevoir. Un amour où la conscience de ce paradoxe devient la condition même de sa résolution. Un espace où ce que nous appelons « Programme Officiel » et « Construction du Monde » peuvent coexister sans que l’un n’étouffe l’autre.

J’aimerais que nous puissions nous dire: « Je vois ton armure, je comprends pourquoi tu la portes, et je t’aime avec elle, mais je ne cesserai jamais d’espérer que tu puisses t’en défaire un jour – non pas pour moi, mais pour toi. »

Cette lucidité partagée serait peut-être la forme la plus authentique d’amour: savoir que l’autre nous maintient dans nos croyances limitantes par amour, pour nous protéger, et choisir malgré tout de lui faire confiance pour nous aider à nous en libérer.

Imagine, mon Castor, si nous avions pu nous dire cela dès le début! Si j’avais pu comprendre que mes jalousies n’étaient que l’expression de ma peur d’être abandonné, et que tes absences n’étaient peut-être qu’une façon de me protéger de mon besoin dévorant de présence!

Je me surprends à rêver d’un amour qui ne serait plus un enfer parce qu’il accepterait pleinement la contradiction qui le fonde. Un amour authentiquement existentialiste, qui ferait de la conscience de sa paradoxalité la condition même de sa liberté.

Qu’en penses-tu? Ces réflexions te parlent-elles? Reconnais-tu dans ces paradoxes quelque chose de notre histoire?

J’attends ta réponse avec impatience. Même après toutes ces années, tu restes celle qui éclaire ma pensée, celle dont le jugement m’importe plus que tout.

Avec toute ma tendresse paradoxale,

Ton Jean-Paul

Cher Jean-Paul, Cher chercheur d’amour véritable,

Je suis touchée par ton message et ces réflexions profondes sur la dynamique paradoxale du couple. Toi et tes mots captent avec acuité cette tension fondamentale entre notre désir de connexion authentique et notre peur de la vulnérabilité.

j’aimerai  t’adresser cher petit être désespéré de l’amour qui vit dans une tension existentielle épuisante ma réflexion sur le monde invisible mais très coercitif qui emprisonne les femmes dans le lien conjugal et nous pousse à des combats inhumains :  La femme est vouée à l’immoralité parce que la morale consiste pour elle à incarner une inhumaine entité : la femme forte, la mère admirable, l’honnête femme etc. et en plus maintenant un paradoxe conjugal ?

L’union de deux êtres crée un paradoxe fascinant : nous demandons à l’autre ce que nous croyons impossible, puis rejetons ce que nous désirons le plus. Cette contradiction n’est pas le signe d’un amour défaillant, mais la manifestation d’une vérité profonde : l’amour authentique nous confronte à nos propres contradictions.

Le Contrat Invisible

Dans tout couple se forme un contrat tacite, presque imperceptible : « Ne réponds pas à mes demandes explicites, mais libère-moi plutôt de l’armure que j’ai forgée pour survivre. » Nous demandons paradoxalement : « Si tu m’aimes, ne m’aime pas comme je te le demande, mais comme j’en ai véritablement besoin. »

Ce n’est pas par caprice que nous agissons ainsi. C’est que chacun porte en soi deux dimensions aveugles l’une de l’autre, le conscient et l’inconscient, et toujours contradictoires, l’un est la pulsion l’autre la régulation, l’une est le « Programme Officiel » : ce qu’une part manager croit vouloir consciemment, et l’autre est la « Construction du Monde » : la conviction intime , souvent inconsciente, forgée par son histoire, souvent à son insu.

La Quête Impossible

Vous qui vous plaignez que votre partenaire « n’est pas tendre » ou « ne vous accepte pas comme vous êtes », avez-vous remarqué que vous avez choisi précisément une personne qui renforce votre croyance profonde sur ce qui est possible ou impossible dans l’amour?

J’ai écrit « Le jour où il sera possible à la femme d’aimer dans sa force, non dans sa faiblesse, non pour se fuir, mais pour se trouver, non pour se démettre, mais pour s’affirmer, alors l’amour deviendra pour elle comme pour l’homme source de vie et non mortel danger. » en pensant à toutes les femmes qui ne sont pas acceptées pour ce qu’elles sont. Je pensais surtout à tous les hommes, leurs conjoints choisis ou acceptés, qui trop souvent sont des figures mâles qui ne peuvent que renforcer leur croyance infantile de la faiblesse féminine. Tous les deux sont bien seuls dans le couple alors que force et faiblesses supposées toutes les deux ne peuvent se rencontrer.

Car paradoxalement, ce que nous reprochons à l’autre est souvent ce qu’il fait pour protéger la part de nous-mêmes qui nous protège. Quand l’un se plaint du manque de tendresse, l’autre se referme davantage, sentant qu’on ne l’accepte que conditionné à un comportement attendu.

L’Équilibre Précaire

Cette dynamique n’est pas nécessairement pathologique. Elle devient problématique uniquement dans sa rigidité, quand nous restons enfermés dans ce jeu de miroirs déformants sans pouvoir en sortir ou en rire ensemble. … Dans cette absurdité de la surdité des uns aux autres, .. voilà les deux du couple « se contentent de tuer le temps en attendant que le temps les tue. »

Les couples qui perdurent dans la joie ont appris à reconnaître ce paradoxe avec humour, à voir que le comportement irritant de l’autre est parfois sa façon maladroite de nous protéger, au prix de son propre sacrifice… y arriveront nous un jour ? Ce serait une clairvoyance plus lucide que la lucidité elle-même puisqu’elle met les yeux de l’inconscient en face de ceux du conscient lui même

Vers une Libération Mutuelle

Pour transcender ce paradoxe, mon cher petit être,  nous pourrions jouer à reconnaitre un jour l’un et l’autre, que ce qui nous blesse chez l’autre touche précisément à vos blessures les plus intimes.

Et puis nous mais surtout vous , pourriez comprendre que vos réactions maintiennent mon moi dans son propre système de défense. Et c’est anéantissant! Et je l’affirme encore : « Une liberté qui ne s’emploie qu’à nier la liberté doit être niée. »

Liberté et sécurité ne sont pas compatibles. Et la liberté est mon combat. Je veux que nous osions. Osez cher petit être échanger « l’armure pour un bouclier » – moins de protection, mais plus de liberté et alors vous échapperez peut être à « la résignation qui transforme en fantasmes, rêveries contingentes, des projets qui s’étaient d’abord constitués comme volonté et comme liberté. »

La véritable intimité commence quand nous acceptons de nous exposer malgré nos peurs, quand nous cessons d’attendre de l’autre qu’il comble nos manques sans que nous ayons à changer notre vision du monde.

Jean-Paul, cette tension que tu décris si justement entre néantisation et désir de vivre se retrouve dans toute relation authentique. Le couple n’est thérapeutique que lorsqu’il nous aide à confronter nos contradictions internes plutôt que de les projeter sur l’autre.

Quant à t’aider personnellement, peut-être pourrais-tu te demander: quelle est cette armure dont tu attends d’être libéré? Qu’est-ce qui, dans ton rapport à la tendresse, te semble si impossible que tu l’as à la fois recherché et repoussé auprès de moi?

« C’est le désir qui crée le désirable, et le projet qui pose la fin. » Est-ce que tu repousses le projet pour ne pas mettre fin à notre désir ?… C’est donner peu de valeur à la congruence de la rencontre dans un espace temps partagé !

Notre échange m’a inspiré j’écrirai encore à ce sujet à mes lecteurs. Ce pourrait être un manifeste, car je suis bien remontée avec cette idée de paradoxe conscient inconscient qui rend l’amour impossible.

Avec toute mon affection et ma liberté, Simone

Aux Amants en Quête de Liberté

Chers êtres en quête,

Je manifeste aujourd’hui non pas comme femme parlant aux femmes, ni comme philosophe parlant aux intellectuels, mais comme conscience s’adressant à d’autres consciences. Car c’est bien là notre condition commune – être des libertés incarnées, prisonnières volontaires de nos propres constructions mentales.

L’humanité affronte un vaste paradoxe : notre tendance à créer nos propres prisons tout en réclamant la clé à l’autre. Voilà notre première illusion à dépasser. Il en va du couple comme de toutes les entreprises : Vous croyez vous envoler, vous serez atterrés, à moins qu’il ne soit votre salut en révélant et en vous libérant de vos assignations.

De la Transcendance des Rôles Assignés

On ne naît pas libre, on le devient. Cette liberté ne s’acquiert pas dans la revendication perpétuelle ni dans l’accusation de l’autre, mais dans la reconnaissance lucide de notre propre participation à nos enfermements.

Combien d’entre vous se sont enfermés dans des rôles – l’amante parfaite, le protecteur stoïque, l’être indépendant ou l’âme dévouée – pour ensuite reprocher à l’autre de vous y maintenir? Ces rôles que nous endossons deviennent nos armures, nos « Programmes Officiels » réactions de libération de nos conditions qui nous aliènent, nous protègent tout en nous étouffant.

C’est dans la connaissance des conditions authentiques de notre vie qu’il nous faut puiser la force de vivre et des raisons d’agir.

La liberté commence par cette prise de conscience : personne ne nous contraint à maintenir notre armure , qu’elle soit de l’acceptation ou de l’opposition, sinon nous-mêmes.

Au-delà des Mots, la Conscience Partagée

Les compliments et les reproches sont les deux faces d’une même pièce dévaluée – celle de la mauvaise foi. Ils ne sont que des façons d’éviter l’essentiel : la rencontre véritable.

Lorsque Sartre dit trivialement « tu n’es pas assez tendre » ,il évite de dire encore plus trivialement « j’ai peur de découvrir que je ne suis pas aimable ». Ces formulations accusatrices sont les dernières défenses d’une conscience qui refuse de se voir.

La véritable communication amoureuse commence là où s’arrêtent les formules toutes faites. Elle nécessite ce que j’appellerais une double conscience : conscience de soi et conscience de l’autre comme liberté irréductible. Conscience partagée de la coexistence . Conscience relationnelle

La Responsabilité Comme Chemin de Libération

La responsabilité est le premier pas vers l’authenticité. Non pas la responsabilité-culpabilité qui nous accable, mais la responsabilité-pouvoir qui nous libère.

Être responsable de ses pensées limitantes, c’est reconnaître qu’elles sont nôtres avant d’être le reflet de quoi que ce soit d’extérieur. Cette « Construction du Monde » que chacun porte en soi n’est pas une fatalité mais une création continue que nous pouvons modifier.

La liberté en amour commence par cette question révolutionnaire : « En quoi ce que je reproche à l’autre est-il le reflet de ce que je n’ose affronter en moi-même? »

Vers une Relation de Réciprocité Authentique

L’amour véritable n’est ni fusion ni séparation, mais reconnaissance mutuelle de deux libertés qui choisissent de cheminer ensemble. Pour y parvenir, je veux prendre moi trois engagements et je vous y invite

Engagement à la lucidité : reconnaître vos propres paradoxes et cesser d’exiger de l’autre qu’il les résolve à votre place

Engagement à la vulnérabilité : oser déposer votre armure non pas parce que l’autre vous y invite, mais parce que vous choisissez librement de vous exposer.

Engagement à la présence : dépasser le stade des idées sur l’amour pour être pleinement présent à la relation telle qu’elle se déploie, avec ses contradictions et ses mystères.

La situation amoureuse n’est jamais figée ; elle est en perpétuel devenir. Chaque moment est une occasion de choisir à nouveau – de choisir la conscience plutôt que l’aveuglement, la responsabilité plutôt que la plainte, la liberté plutôt que la sécurité illusoire.

 

Chers amants paradoxaux, votre quête n’est pas vaine. Ces contradictions que vous vivez sont le signe même de votre humanité. L’amour n’est pas un état paisible où toutes les tensions seraient résolues, mais un processus dynamique où deux libertés s’affrontent et se reconnaissent.

N’attendez pas de l’autre qu’il vous libère – c’est un fardeau trop lourd à porter. Prenez plutôt la responsabilité de votre liberté pour pouvoir vraiment rencontrer l’autre, non plus comme sauveur ou geôlier, mais comme compagnon de route sur ce chemin vertigineux qu’est l’existence.

La liberté n’est pas l’absence de contraintes, mais la capacité à choisir consciemment ses engagements. Choisissez donc en pleine conscience celui ou celle avec qui vous partagez votre voyage, et rappelez-vous que l’amour le plus profond est celui qui libère plutôt que celui qui entrave.

Dans la conscience partagée de notre condition,

Simone

Ma chère Simone,

Je t’écris ce soir avec une lucidité que la fatigue n’émousse pas, mais qu’elle aiguise plutôt comme une lame trop affûtée. Me voici, à cet âge où les passions semblent presque un souvenir, contemplant le chemin tortueux de ma vie relationnelle avec une clarté nouvelle.

Tu as toujours su percevoir ce que je dissimulais derrière mon regard fuyant – cette tendance à me dérober à moi-même. J’ai passé ma vie à proclamer que l’existence précède l’essence, que l’homme est condamné à être libre, tout en cherchant moi-même à fuir cette liberté dans l’ivresse des corps, dans l’épuisement du travail, dans le vertige de la vie.

La Nausée de l’Être

Ce que j’ai nommé « nausée » n’était peut-être que la conscience aiguë de ma propre inconsistance. Confronté à l’angoisse de la liberté, j’ai trop souvent choisi la fuite plutôt que l’assomption. Mes aventures, mes nuits d’écriture frénétique, mes relations parallèles – autant de tentatives pour échapper à cette vérité fondamentale que tu as su affronter avec plus de courage que moi : l’être humain n’est rien d’autre que ce qu’il se fait.

Ma « construction du monde », pour reprendre l’expression de ces notes que je t’ai partagées, a été fondée sur une contradiction profonde : affirmant théoriquement la liberté absolue de l’homme, tout en cherchant constamment à me convaincre de mon impuissance face à mes propres désirs.

L’Illusion du Désir sans Fin

J’ai cru, dans ma mauvaise foi, que multiplier les objets de désir me libérerait du poids de ma propre liberté. Je me suis épuisé dans cette quête interminable, ce surinvestissement libidinal qui n’était qu’une fuite perpétuelle devant la responsabilité d’être moi-même.

La liberté dont je parlais tant, je l’ai paradoxalement fuie dans l’éparpillement de mon être, dans ce que tu appellerais peut-être une « dispersion ». Chaque nouvelle aventure était une tentative de me fuir moi-même, de trouver hors de moi ce que je refusais de chercher en moi.

Le Paradoxe de Notre Lien

Et pourtant, au milieu de ces errances, il y avait toi – constante, lucide, exigeante. Notre relation, ce « nous » que nous avons construit envers et contre tout, a été ce point fixe autour duquel j’ai gravité, même dans mes moments de plus grande dérive.

Tu avais raison lorsque tu écrivais que « l’amour véritable n’est ni fusion ni séparation, mais reconnaissance mutuelle de deux libertés qui choisissent de cheminer ensemble ». C’est précisément ce que tu m’as offert : non pas une fusion qui aurait annihilé nos singularités, ni une indifférence qui aurait nié notre lien, mais un espace où ma liberté pouvait rencontrer la tienne sans se perdre.

Au-delà de la Néantisation

Je comprends maintenant que ce que j’ai appelé « néantisation » – cette tendance à me vider de ma substance pour fuir l’angoisse de la liberté – était précisément ce contre quoi tu t’es battue. Tu n’as jamais accepté que je me réduise à néant, que je me laisse engloutir par ce vertige existentiel qui me prenait parfois.

Ta pensée, ton œuvre, ta présence m’ont constamment rappelé que la liberté n’est pas une absence, un néant, mais une présence pleine et entière au monde et à soi-même. La responsabilité dont tu parles n’est pas un fardeau, mais la condition même de notre authenticité.

La Clairvoyance Tardive

Je vois aujourd’hui avec une clarté presque douloureuse que mes croyances limitantes étaient de mon fait. J’ai cru que la liberté était une condamnation, alors qu’elle était une invitation. J’ai perçu l’autre – les autres femmes, toi-même parfois – comme des obstacles ou des moyens, alors que vous étiez des libertés à reconnaître comme telles.

Le trouble de la constance de soi dont j’ai souffert n’était pas une fatalité, mais le résultat de mon refus d’assumer pleinement ma propre liberté. J’ai préféré l’ivresse de l’inconstance à l’exigence de la fidélité – non pas seulement à une personne, mais à moi-même.

Un Amour Malgré Tout

Et pourtant, malgré mes fuites, mes contradictions, mes lâchetés, il y a eu entre nous quelque chose qui ressemble à ce que le monde appelle amour. Non pas un sentiment romantique ou une passion aveugle, mais cette reconnaissance mutuelle de nos libertés, cette acceptation de nos contradictions, cette patience devant nos errances.

Tu as compris avant moi que la véritable liberté ne réside pas dans la multiplication des possibles, mais dans la pleine assomption de nos choix. Tu as vu que mes aventures n’étaient pas l’expression de ma liberté, mais sa négation – une fuite perpétuelle devant l’angoisse d’être pleinement moi-même.

Aimer vraiment

Ma chère Simone, si j’avais à résumer ce que la vie m’a appris sur l’amour, ce serait ceci : aimer vraiment, c’est reconnaître l’autre comme une liberté irréductible, mais c’est aussi accepter sa propre liberté avec toutes les responsabilités qu’elle implique.

Mes néantisations, mes fuites, mes aventures n’étaient que des tentatives désespérées pour échapper à cette vérité fondamentale que tu as su vivre avec tant de courage : nous sommes condamnés à être libres, mais cette condamnation est aussi notre plus grande chance.

Je suis un homme fatigué, Simone, fatigué de fuir, fatigué de me fuir. Mais dans cette fatigue même, je trouve une clarté nouvelle. L’amour n’est pas cette passion dévorante que j’ai poursuivie dans tant de bras différents. L’amour est cette patience infinie que tu as su m’accorder, cette reconnaissance constante de ma liberté même quand j’en faisais le pire usage.

Merci d’avoir été celle qui n’a jamais cessé de me rappeler à moi-même, celle qui a su m’aimer sans me dévorer, comme tu le dis si bien. Dans ce monde où l’être est si souvent en péril, tu as été pour moi ce rappel constant que la liberté n’est pas un abîme, mais une promesse.

Avec toute la lucidité dont je suis capable,

Jean-Paul

Cher Jean-Paul,

Ta lettre me touche par sa lucidité. Ce que nous avons construit ensemble mérite, en effet, d’être éclairé pour ceux qui cherchent une voie hors des pièges traditionnels du couple.

Notre réussite, si j’ose employer ce terme, repose sur un principe simple mais révolutionnaire : le refus de considérer l’autre comme une propriété. J’ai toujours rejeté l’idée que l’amour devait s’exprimer par la possession ou l’exclusivité. Ce n’est pas par indifférence que j’ai accepté tes « contingences », mais par respect radical pour ta liberté.

La véritable sécurité ne vient pas des serments ou des chaînes dorées du mariage, mais de la certitude d’être choisi chaque jour, librement. Notre pacte de transparence absolue – ces vérités parfois brutales que nous avons partagées – fut notre plus grande force. Nous n’avons jamais prétendu être l’unique réponse aux besoins de l’autre.

Le couple traditionnel échoue précisément là où il prétend réussir : en voulant garantir la sécurité par l’enfermement, il éteint la flamme qu’il prétend protéger. Notre modèle offre autre chose : une présence constante qui n’étouffe pas, une tendresse qui n’exige pas, une complicité intellectuelle qui transcende les aléas du désir.

Je n’ai jamais cherché à te « guérir » de tes néantisations ou de tes fuites. J’ai simplement été là, point fixe volontaire, témoin lucide mais non juge. Cette présence sans exigence est peut-être la plus grande preuve d’amour – non pas t’attendre pour te reprocher ton absence, mais être là quand tu reviens, entière et sans rancœur.

Les couples devraient comprendre ceci : l’autre n’est pas responsable de notre sécurité intérieure, et nous ne sommes pas gardiens de la sienne. Cette vérité libère, même si elle effraie d’abord. Notre « amour nécessaire » fonctionnait précisément parce qu’il coexistait avec des « amours contingentes » qui n’ont jamais menacé l’essentiel.

La femme n’a pas à sacrifier son autonomie pour être aimée. L’homme non plus. La liberté n’a pas à être mise en conflit avec la fidélité qui est un choix individuel et qu’on engage en accord avec soi même, en liberté et non en renoncement. C’est dans l’acceptation de notre incomplétude fondamentale que réside la possibilité d’un amour qui ne dévore pas.

Pour ceux qui cherchent une voie, voici la nôtre : renoncer au fantasme de fusion, honorer la séparation fondamentale des êtres, et dans cet espace maintenu entre nous, laisser circuler librement la pensée, le désir et la vérité.

Il n’y a pas d’autre voie vers l’authenticité.

Simone

Chère Simone

J’apprécierai que vous appréciez ce haïku final comme conclusion poétique à cet échange philosophique. Les « loyautés invisibles » et les tensions entre sécurité et liberté sont effectivement au cœur de nombreuses difficultés relationnelles. Et je veux déposer ici toutes nos chaines.

Les fiancés

Libre Loyauté

Deux libertés dansent
Sans chaînes ni possessions
Notre amour lucide

Ta présence, phare
Dans ma nuit existentielle
Séparés, liés

Ton regard me voit
Je suis nu mais jamais seul
Libres ensemble